Wednesday, December 26, 2007

Le concept de laïcité, et la différence fondamentale entre laïcité et laïcisme.

Salle des Bénédictions
Samedi 9 décembre 2006
Discours du Pape Benoît XVI aux participants au Congrès national d'études
de l'Union des juristes catholiques italiens le 9 décembre 2006

Chers frères et soeurs,
Bienvenus à cette rencontre, qui a lieu dans le cadre de votre Congrès national d'études consacré au thème "La laïcité et les laïcités". J'adresse à chacun de vous mon salut cordial, en commençant par le Président de votre Association de grand mérite, le Professeur Francesco D'Agostino. Je lui suis également reconnaissant de s'être fait l'interprète des sentiments communs et de m'avoir brièvement illustré les finalités de votre action sociale et apostolique. Le Congrès affronte un thème, celui de la laïcité, qui est d'un grand intérêt, car il souligne la façon dont la laïcité, dans le monde d'aujourd'hui, est comprise de différentes manières: il n'existe pas une seule, mais plusieurs laïcités, ou mieux, il existe de multiples façons de comprendre et de vivre la laïcité, des façons parfois opposées et même contradictoires entre elles. Avoir consacré ces journées à l'étude de la laïcité et des différentes façons de la comprendre et de la réaliser vous a conduits dans le vif du débat en cours, un débat qui apparaît toujours plus utile pour les spécialistes du droit.

Pour comprendre la signification authentique de la laïcité et expliquer ses acceptions actuelles, il faut tenir compte du développement historique que ce concept a connu. La laïcité, née pour indiquer la condition du simple fidèle chrétien, n'appartenant ni au clergé ni à l'état religieux, a revêtu au cours du Moyen Age la signification d'opposition entre les pouvoirs civils et les hiérarchies ecclésiastiques et, à l'époque moderne, elle a assumé celle d'exclusion de la religion et de ses symboles de la vie publique, à travers leur limitation au domaine du privé et de la conscience individuelle. C'est ainsi qu'au terme de laïcité a été attribuée une acception idéologique contraire à celle qu'il avait à l'origine.

En réalité , aujourd'hui, la laïcité est communément comprise comme l'exclusion de la religion des divers domaines de la société et comme sa restriction au domaine de la conscience individuelle. La laïcité s'exprimerait dans la séparation totale entre l'Etat et l'Eglise, cette dernière n'ayant aucun titre pour intervenir sur des thèmes relatifs à la vie et au comportement des citoyens; la laïcité comprendrait même l'exclusion des symboles religieux des lieux publics destinés au déroulement des fonctions propres de la communauté politique: des bureaux, des écoles, des tribunaux, des hôpitaux, des prisons, etc. Sur la base de ces multiples façons de concevoir la laïcité, on parle aujourd'hui de pensée laïque, de morale laïque, de science laïque, de politique laïque. En effet, à la base de cette conception, il existe une vision areligieuse de la vie, de la pensée et de la morale: c'est-à-dire une vision où il n'y a pas de place pour Dieu, pour un Mystère qui transcende la pure raison, pour une loi morale de valeur absolue, en vigueur en tout temps et en toute situation. Ce n'est que si l'on se rend compte de cela que l'on peut mesurer le poids des problèmes contenus dans un terme comme laïcité, qui semble être presque devenu l'emblème caractérisant la post-modernité, en particulier la démocratie moderne.

Il est alors du devoir de tous les croyants, en particulier les croyants dans le Christ, de contribuer à élaborer un concept de laïcité qui, d'une part, reconnaisse à Dieu et à sa loi morale, au Christ et à son Eglise la place qui leur revient dans la vie humaine, individuelle et sociale et, de l'autre, qui affirme et respecte la "légitime autonomie des réalités terrestres", en entendant par cette expression, comme le répète le Concile Vatican II, que "les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser" (Gaudium et spes, n. 36). Cette autonomie est une "exigence [...] pleinement légitime: non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C'est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques. L'homme doit respecter tout cela et reconnaître les méthodes particulières à chacune des sciences et techniques" (Ibid.). Si, au contraire, par l'expression d'"autonomie des réalités temporelles", on veut dire que les "choses créées ne dépendent pas de Dieu et que l'homme peut en disposer sans référence au Créateur", alors la fausseté d'une telle opinion ne peut échapper à quiconque croit en Dieu et à sa présence transcendante dans le monde créé (cf. Ibid.).

Cette affirmation conciliaire constitue la base doctrinale de la "saine laïcité" qui implique l'autonomie effective des réalités terrestres, non pas de l'ordre moral, mais du domaine ecclésiastique. Ce n'est donc pas l'Eglise qui peut indiquer quelle organisation politique ou sociale il faut préférer, mais c'est le peuple qui doit décider librement des façons les meilleures et les plus adaptées d'organiser la vie politique. Toute intervention directe de l'Eglise dans ce domaine serait une ingérence indue. D'autre part, la "saine laïcité" implique que l'Etat ne considère pas la religion comme un simple sentiment individuel, qui pourrait être limité au seul domaine privé. Au contraire, la religion, étant également organisée en structures visibles, comme cela a lieu pour l'Eglise, doit être reconnue comme présence communautaire publique. Cela comporte en outre qu'à chaque confession religieuse (à condition qu'elle ne soit pas opposée à l'ordre moral et qu'elle ne soit pas dangereuse pour l'ordre public), soit garanti le libre exercice des activités de culte - spirituelles, culturelles, éducatives et caritatives - de la communauté des croyants. A la lumière de ces considérations, l'hostilité à toute forme d'importance politique et culturelle accordée à la religion, et à la présence, en particulier, de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n'est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme. De même que nier à la communauté chrétienne et à ceux qui la représentent de façon légitime, le droit de se prononcer sur les problèmes moraux qui interpellent aujourd'hui la conscience de tous les êtres humains, en particulier des législateurs et des juristes, n'est pas non plus le signe d'une saine laïcité. En effet, il ne s'agit pas d'une ingérence indue de l'Eglise dans l'activité législative, propre et exclusive de l'Etat, mais de l'affirmation et de la défense des grandes valeurs qui donnent un sens à la vie des personnes et qui en préservent la dignité. Ces valeurs, avant d'être chrétiennes, sont humaines, c'est-à-dire qu'elle ne laissent pas indifférente et silencieuse l'Eglise, qui a le devoir de proclamer avec fermeté la vérité sur l'homme et sur son destin.

Chers juristes, nous vivons une période historique exaltante en raison des progrès que l'humanité a accomplis dans de nombreux domaines du droit, de la culture, de la communication, de la science et de la technologie. Dans le même temps, toutefois, il existe de la part de certains la tentative d'exclure Dieu de tous les domaines de la vie, en le présentant comme antagoniste de l'homme. C'est à nous, chrétiens, qu'il revient de montrer qu'au contraire, Dieu est amour et qu'il veut le bien et le bonheur de tous les hommes. Il est de notre devoir de faire comprendre que la loi morale qu'Il nous a donnée, et qui se manifeste à nous à travers la voix de la conscience, a pour but non pas de nous opprimer, mais de nous libérer du mal et de nous rendre heureux. Il s'agit de montrer que sans Dieu, l'homme est perdu et que l'exclusion de la religion de la vie sociale, en particulier la marginalisation du christianisme, mine les bases mêmes de la coexistence humaine. Avant d'être d'ordre social et politique, ces bases sont en effet d'ordre moral.

En vous remerciant une fois de plus, chers amis, pour votre visite d'aujourd'hui, j'invoque sur vous et sur votre Association la protection maternelle de Marie. Avec ces sentiments, je donne à tous de tout coeur une Bénédiction apostolique particulière, que j'étends volontiers à vos familles et aux personnes qui vous sont chères.


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Monday, November 19, 2007

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix Edith Stein

Thérèse-Bénédicte de la Croix Edith Stein
Carmélite déchaussée, martyr
1891-1942

"Inclinons-nous profondément devant ce témoignage de vie et de mort livré par Edith Stein, cette remarquable fille d'Israël, qui fut en même temps fille du Carmel et soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix, une personnalité qui réunit pathétiquement, au cours de sa vie si riche, les drames de notre siècle. Elle est la synthèse d'une histoire affligée de blessures profondes et encore douloureuses, pour la guérison desquelles s'engagent, aujoud'hui encore, des hommes et des femmes conscients de leurs responsabilités; elle est en même temps la synthèse de la pleine vérité sur les hommes, par son coeur qui resta si longtemps inquiet et insatisfait, "jusqu'à ce qu'enfin il trouvât le repos dans le Seigneur". Ces paroles furent prononcées par le Pape Jean-Paul II à l'occasion de la béatification d'Édith Stein à Cologne, le 1 mai 1987.Qui fut cette femme?Quand, le 12 octobre 1891, Édith Stein naquit à Wroclaw (à l'époque Breslau), la dernière de 11 enfants, sa famille fêtait le Yom Kippour, la plus grande fête juive, le jour de l'expiation. "Plus que toute autre chose cela a contribué à rendre particulièrement chère à la mère sa plus jeune fille". Cette date de naissance fut pour la carmélite presque une prédiction.

Son père, commerçant en bois, mourut quand Édith n'avait pas encore trois ans. Sa mère, femme très religieuse, active et volontaire, personne vraiment admirable, restée seule, devait vaquer aux soins de sa famille et diriger sa grande entreprise; cependant elle ne réussit pas à maintenir chez ses enfants une foi vivante. Édith perdit la foi en Dieu: "En pleine conscience et dans un choix libre je cessai de prier".Elle obtint brillamment son diplôme de fin d'études secondaires en 1911 et commença des cours d'allemand et d'histoire à l'Université de Wroclaw, plus pour assurer sa subsistance à l'avenir que par passion. La philosophie était en réalité son véritable intérêt. Elle s'intéressait également beaucoup aux questions concernant les femmes. Elle entra dans l'organisation "Association Prussienne pour le Droit des Femmes au Vote". Plus tard elle écrira: "Jeune étudiante, je fus une féministe radicale. Puis cette question perdit tout intérêt pour moi. Maintenant je suis à la recherche de solutions purement objectives".

En 1913, l'étudiante Édith Stein se rendit à Gôttingen pour fréquenter les cours de Edmund Husserl à l'université; elle devint son disciple et son assistante et elle passa aussi avec lui sa thèse. À l'époque Edmund Husserl fascinait le public avec son nouveau concept de vérité: le monde perçu existait non seulement à la manière kantienne de la perception subjective. Ses disciples comprenaient sa philosophie comme un retour vers le concret. "Retour à l'objectivisme". La phénoménologie conduisit plusieurs de ses étudiants et étudiantes à la foi chrétienne, sans qu'il en ait eu l'intention. À Gôttingen, Édith Stein rencontra aussi le philosophe Max Scheler. Cette rencontre attira son attention sur le catholicisme. Cependant elle n'oublia pas l'étude qui devait lui procurer du pain dans l'avenir. En janvier 1915, elle réussit avec distinction son examen d'État. Elle ne commença pas cependant sa période de formation professionnelle.Alors qu'éclatait la première guerre mondiale, elle écrivit: "Maintenant je n'ai plus de vie propre". Elle fréquenta un cours d'infirmière et travailla dans un hôpital militaire autrichien. Pour elle ce furent des temps difficiles. Elle soigna les malades du service des maladies infectieuses, travailla en salle opératoire, vit mourir des hommes dans la fleur de l'âge. À la fermeture de l'hôpital militaire en 1916, elle suivit Husserl à Fribourg-en-Brisgau, elle y obtint en 1917 sa thèse "summa cum laudae" dont le titre était: "Sur le problème de l'empathie".

Il arriva qu'un jour elle put observer comment une femme du peuple, avec son panier à provisions, entra dans la cathédrale de Francfort et s'arrêta pour une brève prière. "Ce fut pour moi quelque chose de complètement nouveau. Dans les synagogues et les églises protestantes que j'ai fréquentées, les croyants se rendent à des offices. En cette circonstance cependant, une personne entre dans une église déserte, comme si elle se rendait à un colloque intime. Je n'ai jamais pu oublier ce qui est arrivé". Dans les dernières pages de sa thèse elle écrit: "Il y a eu des individus qui, suite à un changement imprévu de leur personnalité, ont cru rencontrer la miséricorde divine". Comment est-elle arrivée à cette affirmation?

Édith Stein était liée par des liens d'amitié profonde avec l'assistant de Husserl à Gôtingen, Adolph Reinach, et avec son épouse. Adolf Reinach mourut en Flandres en novembre 1917. Édith se rendit à Gôttingen. Le couple Reinach s'était converti à la foi évangélique. Édith avait une certaine réticence à l'idée de rencontrer la jeune veuve. Avec beaucoup d'étonnement elle rencontra une croyante. "Ce fut ma première rencontre avec la croix et avec la force divine qu'elle transmet à ceux qui la portent [...] Ce fut le moment pendant lequel mon irréligiosité s'écroula et le Christ resplendit". Plus tard elle écrivit: "Ce qui n'était pas dans mes plans était dans les plans de Dieu. En moi prit vie la profonde conviction que -vu du côté de Dieu- le hasard n'existe pas; toute ma vie, jusque dans ses moindres détails, est déjà tracée selon les plans de la providence divine et, devant le regard absolument clair de Dieu, elle présente une unité parfaitement accomplie".

À l'automne 1918, Édith Stein cessa d'être l'assistante d'Edmund Husserl. Ceci parce qu'elle désirait travailler de manière indépendante. Pour la première fois depuis sa conversion, Édith Stein rendit visite à Husserl en 1930. Elle eut avec lui une discussion sur sa nouvelle foi à laquelle elle aurait volontiers voulu qu'il participe. Puis elle écrit de manière surprenante: "Après chaque rencontre qui me fait sentir l'impossibilité de l'influencer directement, s'avive en moi le caractère pressant de mon propre holocauste".

Édith Stein désirait obtenir l'habilitation à l'enseignement. À l'époque, c'était une chose impossible pour une femme. Husserl se prononça au moment de sa candidature: "Si la carrière universitaire était rendue accessible aux femmes, je pourrais alors la recommander chaleureusement plus que n'importe quelle autre personne pour l'admission à l'examen d'habilitation". Plus tard on lui interdira l'habilitation à cause de ses origines juives.Édith Stein retourna à Wroclaw. Elle écrivit des articles sur la psychologie et sur d'autres disciplines humanistes. Elle lit cependant le Nouveau Testament, Kierkegaard et le livre des exercices de saint Ignace de Loyola. Elle s'aperçoit qu'on ne peut seulement lire un tel écrit, il faut le mettre en pratique.

Pendant l'été 1921, elle se rendit pour quelques semaines à Bergzabern (Palatinat), dans la propriété de Madame Hedwig Conrad-Martius, une disciple de Husserl. Cette dame s'était convertie, en même temps que son époux, à la foi évangélique. Un soir, Édith trouva dans la bibliothèque l'autobiographie de Thérèse d'Avila. Elle la lut toute la nuit. "Quand je refermai le livre je me dis: ceci est la vérité". Considérant rétrospectivement sa propre vie, elle écrira plus tard: "Ma quête de vérité était mon unique prière".

Le ler janvier 1922, Édith Stein se fit baptiser. C'était le jour de la circoncision de Jésus, de l'accueil de Jésus dans la descendance d'Abraham. Édith Stein était debout devant les fonds baptismaux, vêtue du manteau nuptial blanc de Hedwig Conrad-Martius qui fut sa marraine. "J'avais cessé de pratiquer la religion juive et je me sentis de nouveau juive seulement après mon retour à Dieu". Maintenant elle sera toujours consciente, non seulement intellectuellement mais aussi concrètement, d'appartenir à la lignée du Christ. À la fête de la Chandeleur, qui est également un jour dont l'origine remonte à l'Ancien Testament, elle reçut la confirmation de l'évêque de Spire dans sa chapelle privée.

Après sa conversion, elle se rendit tout d'abord à Wroclaw. "Maman, je suis catholique". Les deux se mirent à pleurer. Hedwig Conrad-Martius écrivit: "Je vis deux israélites et aucune ne manque de sincérité" (cf Jn 1, 47).Immédiatement après sa conversion, Édith aspira au Carmel, mais ses interlocuteurs spirituels, le Vicaire général de Spire et le Père Erich Przywara, S.J., l'empêchèrent de faire ce pas. Jusqu'à pâques 1931 elle assura alors un enseignement en allemand et en histoire au lycée et séminaire pour enseignants du couvent dominicain de la Madeleine de Spire. Sur l'insistance de l'archiabbé Raphaël Walzer du couvent de Beuron, elle entreprend de longs voyages pour donner des conférences, surtout sur des thèmes concernant les femmes. "Pendant la période qui précède immédiatement et aussi pendant longtemps après ma conversion [... ] je croyais que mener une vie religieuse signifiait renoncer à toutes les choses terrestres et vivre seulement dans la pensée de Dieu. Progressivement cependant, je me suis rendue compte que ce monde requiert bien autre chose de nous [...]; je crois même que plus on se sent attiré par Dieu et plus on doit "sortir de soi-même", dans le sens de se tourner vers le monde pour lui porter une raison divine de vivre".

Son programme de travail est énorme. Elle traduit les lettres et le journal de la période pré-catholique de Newman et l'œuvre "Questiones disputatx de veritate" de Thomas d'Aquin et ce dans une version très libre, par amour du dialogue avec la philosophie moderne. Le Père Erich Przywara S.J. l'encouragea à écrire aussi des oeuvres philosophiques propres. Elle apprit qu'il est possible "de pratiquer la science au service de Dieu [... ]; c'est seulement pour une telle raison que j'ai pu me décider à commencer une série d'oeuvres scientifiques". Pour sa vie et pour son travail elle trouve toujours les forces nécessaires au couvent des bénédictins de Beuron où elle se rend pour passer les grandes fêtes de l'année liturgique.

En 1931, elle termina son activité à Spire. Elle tenta de nouveau d'obtenir l'habilitation pour enseigner librement à Wroclaw et à Fribourg. En vain. À partir de ce moment, elle écrivit une oeuvre sur les principaux concepts de Thomas d'Aquin: "Puissance et action". Plus tard, elle fera de cet essai son ceuvre majeure en l'élaborant sous le titre "Être fini et Être éternel", et ce dans le couvent des Carmélites à Cologne. L'impression de l'œuvre ne fut pas possible pendant sa vie.En 1932, on lui donna une chaire dans une institution catholique, l'Institut de Pédagogie scientifique de Münster, où elle put développer son anthropologie. Ici elle eut la possibilité d'unir science et foi et de porter à la compréhension des autres cette union. Durant toute sa vie, elle ne veut être qu'un "instrument de Dieu". "Qui vient à moi, je désire le conduire à Lui".En 1933, les ténèbres descendent sur l'Allemagne. "J'avais déjà entendu parler des mesures sévères contres les juifs. Mais maintenant je commençai à comprendre soudainement que Dieu avait encore une fois posé lourdement sa main sur son peuple et que le destin de ce peuple était aussi mon destin". L'article de loi sur la descendance arienne des nazis rendit impossible la continuation de son activité d'enseignante. "Si ici je ne peux continuer, en Allemagne il n'y a plus de possibilité pour moi". "J'étais devenue une étrangère dans le monde".

L'archiabbé Walzer de Beuron ne l'empêcha plus d'entrer dans un couvent des Carmélites. Déjà au temps où elle se trouvait à Spire, elle avait fait les veeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. En 1933 elle se présenta à la Mère Prieure du monastère des Carmélites de Cologne. "Ce n'est pas l'activité humaine qui peut nous aider, mais seulement la passion du Christ. J'aspire à y participer".Encore une fois Édith Stein se rendit à Wroclaw pour prendre congé de sa mère et de sa famille. Le dernier jour qu'elle passa chez elle fut le 12 octobre, le jour de son anniversaire et en même temps celui de la fête juive des Tabernacles. Édith accompagna sa mère à la Synagogue. Pour les deux femmes ce ne fut pas une journée facile. "Pourquoi l'as-tu connu (Jésus Christ)? Je ne veux rien dire contre Lui. Il aura été un homme bon. Mais pourquoi s'est-il fait Dieu?" Sa mère pleure.Le lendemain matin Édith prend le train pour Cologne. "Je ne pouvais entrer dans une joie profonde. Ce que je laissais derrière moi était trop terrible. Mais j'étais très calme - dans l'intime de la volonté de Dieu". Par la suite elle écrira chaque semaine une lettre à sa mère. Elle ne recevra pas de réponses. Sa soeur Rose lui enverra des nouvelles de la maison.Le 14 octobre, Édith Stein entre au monastère des Carmélites de Cologne. En 1934, le 14 avril, ce sera la cérémonie de sa prise d'habit. L'archiabbé de Beuron célébra la messe. À partir de ce moment Édith Stein portera le nom de soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix.

En 1938, elle écrivit: "Sous la Croix je compris le destin du peuple de Dieu qui alors (1933) commençait à s'annoncer. Je pensais qu'il comprenait qu'il s'agissait de la Croix du Christ, qu'il devait l'accepter au nom de tous les autres peuples. Il est certain qu'aujourd'hui je comprends davantage ces choses, ce que signifie être épouse du Seigneur sous le signe de la Croix. Cependant il ne sera jamais possible de comprendre tout cela, parce que c'est un mystère".Le 21 avril 1935, elle fit des voeux temporaires. Le 14 septembre 1936, au moment du renouvellement des voeux, sa mère meurt à Wroclaw. "Jusqu'au dernier moment ma mère est restée fidèle à sa religion. Mais puisque sa foi et sa grande confiance en Dieu [...] furent l'ultime chose qui demeura vivante dans son agonie, j'ai confiance qu'elle a trouvé un juge très clément et que maintenant elle est ma plus fidèle assistante, en sorte que moi aussi je puisse arriver au but".

Sur l'image de sa profession perpétuelle du 21 avril 1938, elle fit imprimer les paroles de saint Jean de la Croix auquel elle consacrera sa dernière oeuvre: "Désormais ma seule tâche sera l'amour".L'entrée d'Édith Stein au couvent du Carmel n'a pas été une fuite. "Qui entre au Carmel n'est pas perdu pour les siens, mais ils sont encore plus proches; il en est ainsi parce que c'est notre tâche de rendre compte à Dieu pour tous". Surtout elle rend compte à Dieu pour son peuple. "Je dois continuellement penser à la reine Esther qui a été enlevée à son peuple pour en rendre compte devant le roi. Je suis une petite et faible Esther mais le Roi qui m'a appelée est infiniment grand et miséricordieux. C'est là ma grande consolation". (31 octobre 1938)

Le 9 novembre 1938, la haine des nazis envers les juifs fut révélée au monde entier. Les synagogues brûlèrent. La terreur se répandit parmi les juifs. La Mère Prieure des Carmélites de Cologne fait tout son possible pour conduire soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix à l'étranger. Dans la nuit du 1er janvier 1938, elle traversa la frontière des Pays-Bas et fut emmenée dans le monastère des Carmélites de Echt, en Hollande. C'est dans ce lieu qu'elle écrivit son testament, le 9 juin 1939: "Déjà maintenant j'accepte avec joie, en totale soumission et selon sa très sainte volonté, la mort que Dieu m'a destinée. Je prie le Seigneur qu'Il accepte ma vie et ma mort [...] en sorte que le Seigneur en vienne à être reconnu par les siens et que son règne se manifeste dans toute sa grandeur pour le salut de l'Allemagne et la paix dans le monde".

Déjà au monastère des Carmélites de Cologne on avait permis à Édith Stein de se consacrer à ses oeuvres scientifiques. Entre autres elle écrivit dans ce lieu "De la vie d'une famille juive". "Je désire simplement raconter ce que j'ai vécu en tant que juive". Face à "la jeunesse qui aujourd'hui est éduquée depuis l'âge le plus tendre à haïr les juifs [...] nous, qui avons été éduqués dans la communauté juive, nous avons le devoir de rendre témoignage".En toute hâte, Édith Stein écrira à Echt son essai sur "Jean de la Croix, le Docteur mystique de l'Église, à l'occasion du quatre centième anniversaire de sa naissance, 1542-1942". En 1941, elle écrivit à une religieuse avec laquelle elle avait des liens d'amitié: "Une scientia crucis (la science de la croix) peut être apprise seulement si l'on ressent tout le poids de la croix. De cela j'étais convaincue depuis le premier instant et c'est de tout coeur que j'ai dit: Ave Crux, Spes unica (je te salue Croix, notre unique espérance)". Son essai sur Jean de la Croix porta le sous-titre: "La Science de la Croix".

Le 2 août 1942, la Gestapo arriva. Édith Stein se trouvait dans la chapelle, avec les autres soeurs. En moins de 5 minutes elle dut se présenter, avec sa soeur Rose qui avait été baptisée dans l'Église catholique et qui travaillait chez les Carmélites de Echt. Les dernières paroles d'Édith Stein que l'on entendit à Echt s'adressèrent à sa soeur: "Viens, nous partons pour notre, peuple".

Avec de nombreux autres juifs convertis au christianisme, les deux femmes furent conduites au camp de rassemblement de Westerbork. Il s'agissait d'une vengeance contre le message de protestation des évêques catholiques des Pays-Bas contre le progrom et les déportations de juifs. "Que les êtres humains puissent en arriver à être ainsi, je ne l'ai jamais compris et que mes soeurs et mes frères dussent tant souffrir, cela aussi je ne l'ai jamais vraiment compris [...]; à chaque heure je prie pour eux. Est-ce que Dieu entend ma prière? Avec certitude cependant il entend leurs pleurs". Le professeur Jan Nota, qui lui était lié, écrira plus tard: "Pour moi elle est, dans un monde de négation de Dieu, un témoin de la présence de Dieu".

À l'aube du 7 août, un convoi de 987 juifs parti en direction d'Auschwitz. Ce fut le 9 août 1942, que soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix, avec sa soeur Rose et de nombreux autres membres de son peuple, mourut dans les chambres à gaz d'Auschwitz.Avec sa béatification dans la Cathédrale de Cologne, le ler mai 1987, l'Église honorait, comme l'a dit le Pape Jean-Paul II, "une fille d'Israël, qui pendant les persécutions des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur Crucifié, Jésus Christ, telle une catholique, et à son peuple telle une juive".

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein) fut canoniser par le Pape Jean-Paul II le 11 octobre 1998.

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Homélie de Benoît XVI en la solemnité de l'Assomption


Chers frères et sœurs,
Dans sa grande œuvre "La Cité de Dieu", Saint Augustin dit une fois que toute l'histoire humaine, l'histoire du monde, est une lutte entre deux amours: l'amour de Dieu jusqu'à la perte de soi, jusqu'au don de soi, et l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, jusqu'à la haine des autres. Cette même interprétation de l'histoire comme lutte entre deux amours, entre l'amour et l'égoïsme, apparaît également dans la lecture extraite de l'Apocalypse, que nous venons d'entendre. Ici, ces deux amours apparaissent à travers deux grandes figures. Avant tout, il y a le dragon rouge très puissant, avec une manifestation impressionnante et inquiétante du pouvoir sans grâce, sans amour, de l'égoïsme absolu, de la terreur, de la violence.

Au moment où saint Jean écrivit l'Apocalypse, pour lui ce dragon était symbolisé par le pouvoir des empereurs romains antichrétiens, de Néron jusqu'à Domitien. Ce pouvoir apparaissait illimité; le pouvoir militaire, politique, l'expansion de l'empire romain était tel que devant lui, la foi, l'Église apparaissaient comme une femme désarmée, sans possibilité de survivre, encore moins de vaincre. Qui pouvait s'opposer à ce pouvoir omniprésent, qui semblait en mesure de tout faire? Et toutefois, nous savons qu'à la fin, la femme désarmée a vaincu , l'égoïsme n'a pas vaincu, ni la haine; l'amour de Dieu a vaincu et l'empire romain s'est ouvert à la foi chrétienne.

Les Paroles de l'Écriture Sainte dépassent toujours le moment historique. Et ce dragon indique ainsi, non seulement le pouvoir antichrétien des persécuteurs de l'Église de ce temps, mais les dictatures matérialistes antichrétiennes de toutes les temps. Nous voyons de nouveau se réaliser ce pouvoir, cette puissance du dragon rouge dans les grandes dictatures du siècle passé: la dictature du nazisme et la dictature de Staline avaient tous les pouvoirs, pénétraient chaque contrée, jusqu'au dernier recoin. Il semblait impossible qu'à long terme, la foi puisse survivre devant ce dragon aussi fort, qui voulait dévorer Dieu qui s'est fait enfant, et la femme, l'Église. Mais en réalité, même dans ce cas, à la fin, l'amour fut plus fort que la haine.

Même aujourd'hui, le dragon existe sous des formes nouvelles, différentes. Il existe sous la forme des idéologies matérialistes qui disent: il est absurde de penser à Dieu; il est absurde d'observer les commandements de Dieu; c'est une chose qui appartient au passé. Il faut seulement vivre la vie pour soi. Prendre dans ce bref moment de la vie tout ce qui nous est possible de prendre. Seuls la consommation, l'égoïsme, le divertissement valent la peine. C'est çà la vie. Nous devons vivre ainsi. Et de nouveau, il semble absurde, impossible de s'opposer à cette mentalité dominante, avec toute sa force médiatique, de propagande. Il semble impossible aujourd'hui encore de penser à un Dieu qui a créé l'homme et qui s'est fait enfant et qui serait le vrai Sauveur du monde.

Même maintenant ce dragon apparaît invincible, mais même aujourd'hui, il reste vrai que Dieu est plus fort que le dragon, que l'amour l'emporte et non pas l'égoïsme. En ayant ainsi pris en considération les différentes configurations historiques du dragon, nous voyons maintenant l'autre image: la femme vêtue par le soleil avec la lune sous ses pieds, entourée de douze étoiles. Même cette image est multidimensionnelle. Une première signification sans doute est que c'est la Vierge Marie vêtue du soleil, c'est-à-dire entièrement de Dieu; Marie qui vit en Dieu, pleinement entourée et pénétrée par la lumière de Dieu. Entourée de douze étoiles, c'est-à-dire des douze tribus d'Israël, de tout le peuple de Dieu, de toute la communion des saints, et aux pieds, la lune, l'image de la mort et de la mortalité. Marie a laissé derrière elle, la mort; elle est totalement revêtue de la vie, est élevée, corps et âme dans la gloire de Dieu et ainsi, demeure dans la gloire, en ayant vaincu la mort. Elle nous dit: Courage, à la fin c'est l'amour qui gagne! Ma vie était de proclamer: je suis la servante du Seigneur, ma vie était don de moi-même à Dieu et à mon prochain. Et cette vie de service s'accomplit maintenant dans la véritable vie. Ayez confiance, ayez le courage de vivre aussi ainsi, contre toutes les menaces du dragon.

C'est la première signification de la femme que Marie est arrivée à être. La "femme vêtue du soleil" est une grand marque de la victoire de l'amour, de la victoire du bien, de la victoire de Dieu. Une grande marque de réconfort. Mais ensuite, cette femme qui souffre, qui doit fuir, qui enfante dans un cri de douleur, c'est également l'Église, l'Église pèlerine de tous les temps. Dans toutes les générations, elle doit à nouveau enfanter du Christ, le porter avec une grande douleur dans ce monde de souffrance. Persécutée à toutes les époques, elle vit presque dans le désert, persécutée par le dragon. Mais en tout temps, l'Église, Peuple de Dieu, vit aussi de la lumière de Dieu et est nourrie - comme le dit l'Évangile - par Dieu, nourrie en elle avec le pain de la sainte Eucharistie. Et ainsi dans toutes les vicissitudes, dans toutes les différentes situations de l'Église au cours des temps, dans les différentes parties du monde, en souffrant, elle est vainqueur. Et elle est la présence, la garantie de l'amour de Dieu contre toutes les idéologies de la haine et de l'égoïsme.

Nous voyons certainement que même aujourd'hui le dragon veut dévorer le Dieu qui s'est fait enfant. Ne craignez pas pour ce Dieu apparemment faible. La lutte est déjà été surmontée. Aujourd'hui encore, ce Dieu faible est fort: Il est la véritable force. Et ainsi la fête de l'Assomption est l'invitation à avoir confiance en Dieu et est aussi une invitation à imiter Marie dans ce qu'elle-même a dit: je suis la servante du Seigneur, je me mets à la disposition du Seigneur. C'est une leçon: suivre sa voie; donner sa vie et ne pas prendre la vie. Et c'est vraiment ainsi que nous sommes sur le chemin de l'amour qui signifie se perdre, mais une façon de se perdre, qui, en réalité, est l'unique chemin pour se retrouver vraiment, pour trouver la véritable vie.
Regardons Marie, montée au Ciel. Laissons-nous encourager par la foi et la fête de la joie: Dieu triomphe. La foi, apparemment faible est la véritable force du monde. L'amour est plus fort que la haine. Et nous disons avec Elisabeth: Bénie sois-tu entre toutes les femmes. Nous te prions avec toute l'Église: Sainte Marie prie pour nous pécheurs, maintenant et à l'heure et de notre mort. Amen.

© Copyright 2007 du texte original -Libreria Editrice Vatican
Le 15 août 2007
L'Assomption de la Vierge. Nicolas Poussin, c.1650. Huile sur toile. Le Louvre, Paris, France